
Est-ce que les guides doivent avoir réponse à tout ?
A l’école des guides, on apprend à faire des recherches et à construire un parcours intelligent pour délivrer de manière ordonnée le contenu étudié en amont. Et on fait des recherches parfois très poussées. Quand on est guide, on se perd tout le temps dans des recherches qui nous paraissent hyper intéressantes mais qui, au final, ne pourront jamais être transmises à un public en visite guidée. S’il y a des guides qui nous lisent et qui n’ont jamais vécu ça, écrivez-nous en commentaire, votre méthodologie de recherche nous intéresse !
Comment les guides pourraient-elles avoir réponse à tout ?
Être guide ce n’est pas être experte. En tant que guide, on s’informe sur des sujets liés aux lieux qu’on fait visiter, on peut même s’intéresser à l’avancée des recherches sur ces sujets pour se mettre à jour au fur et à mesure, être même parfois à la pointe, mais une chose est sûre, nous ne sommes pas des expertes ! Nous ne sommes pas payées pour faire avancer la recherche. Certaines d’entre nous ont pu faire une thèse sur une sujet précis, mais il est quand même très rare d’être guide professionnelle sur son propre sujet d’expertise. Et ça n’aurait pas énormément d’intérêt parce qu’on ne pourrait transmettre à nos publics qu’une infime partie de nos connaissances. Ou alors il faudrait être guide sur son sujet d’expertise pour un public très connaisseur. Mais ça, ça n’existe pas. Dans ces rares cas, on demande exceptionnellement à l’expert de sortir de son laboratoire pour parler à ce groupe trop spécifique ? On avait écrit un article à ce sujet : Peut-on être médiatrice et experte ?
Dans la majeure partie des cas, on est guide sur plusieurs sites, on évoque plusieurs périodes et une multitude de sujets. Chez Cybèle on a une vingtaines de visites, sur des sujets aussi divers que les grandes foires royales à la Renaissance, le rugby ou l’architecture avant-garde des années 30. Les visiteurs, quand ils apprennent qu’on est une équipe de 5 guides permanents, nous posent souvent cette question naïve : “vous avez chacun vos visites, vos quartier ?”. Et on leur répond que non. Il ne peuvent évidemment pas avoir idée que si c’était le cas, on ne survivrait pas financièrement. En étant chacun formé sur toutes les visites, on peut être plusieurs guides en simultané sur une même visite, on peut avoir des jours off pendant que les collègues font les visites (sans restreindre le choix de visite pour les publics) et puis, entre nous, si on faisait toujours la même visite, tous les jours… quelle fatigue ! Heureusement que l’on varie les plaisirs.
Et si on a des questions pointues ?
Lorsqu’on prépare une nouvelle visite, on potasse le sujet, et très souvent on se met la pression pour pouvoir “répondre à toutes les questions”. Mais on ne sait pas quelles seront les questions. Alors on passe un temps infini à lire et à ingurgiter du contenu que, dans la majorité des cas, on aura en tête pour nos premières, mais qu’on aura oublié quelques mois plus tard quand une personne nous posera LA question.
En réalité, les visiteurs et visiteuses posent souvent les mêmes questions d’une visite sur l’autre. Au bout de 3 ou 4 fois qu’on mène une visite, on sait quelles seront les questions. Il y a assez peu de demandes très spécifiques. Et quand ça arrive, soit on a la réponse, super. Soit on ne l’a pas, super aussi ! Il suffit alors d’assumer et de dire qu’on est médiatrice et que cette question dépasse notre champ de connaissances. Si on a une bibliographie à recommander c’est bien et sinon on leur propose de chercher par eux-même. En tout cas, pas de panique, PERSONNE ne vous trouvera nul ou mauvais guide si vous assumez ça. Ce n’est pas une expertise à toute épreuve que les gens viennent chercher en visite visite guidée.
Oui mais parfois, les visiteurs nous testent sur nos connaissances…
Dans la majorité des cas, les personnes qui posent une question sont sincères dans leur intérêt pour cette question et lorsqu’on leur dit qu’on ne sait pas, il se disent tout simplement qu’ils iront chercher la réponse (chose qu’ils font dans moins d’un pourcent des cas je pense). Il arrive aussi qu’on se sente mis au défi. C’est vrai. Il y a des personnes qui veulent défier leur guide pour vérifier ses connaissances.
Peut-être parce qu’ils sont mal à l’aise avec la posture d’apprenant qui peut rappeler l’école, qui peut faire se sentir en posture d’infériorité. Certains public se sentent mal à l’aise, alors ils cherchent à renverser le malaise. Dans ces cas-là, à mon sens, il n’y a pas grand chose d’autre à faire que de les ignorer. Ce qu’attend cette personne-là, c’est justement que le guide soit mal-à-l’aise car il ne sait pas répondre. Si on montre que ça ne nous dérange pas de ne pas savoir, elle s’arrêtera vite. On peut leur dire qu’on n’a pas la réponse et que c’est trop pointu pour être abordé dans une visite guidée tout public, qu’on a dû faire des choix de contenus parce qu’on n’avait pas 5h de visite devant nous, c’est suffisant. Ils pourront approfondir en faisant leurs propres recherches. Souvent ça suffit à ce qu’ils arrêtent. En fait, ceux qui sont là juste pour nous coincer n’ont pas leur place dans notre visite. Et les vrais relous, bah, on les sort du groupe !
Nos petites fiertés quand les gens pensent qu’on est expertes
La posture de base c’est : “j’ai appris des choses et je vais vous les transmettre”. Et parfois, ça donne l’illusion de l’expertise. Et c’est toujours très jouissif quand les gens y croient à fond. Nous faisons une visite théâtralisée au stade de Gerland à Lyon. Ce stade est occupé par le LOU, l’équipe professionnelle de rugby à Lyon. Avant d’écrire cette visite, nous n’avions JAMAIS vu un match de Rugby, aucun de nous ne pratiquait un sport collectif de compétition, on n’avait jamais mis les pieds dans ce stade… bref on était de réels ignares.
Dans cette visite théâtralisée on se fait passer (entre autres) pour des supporters du LOU. On fait croire qu’on suit toute l’actualité de l’équipe (en réalité on prend 5 min avant chaque visite pour voir le classement du LOU en top 14, quel était le dernier match et quel sera le prochain). Pourtant, on a régulièrement des passionnés de rugby ou des supporters d’autres équipes qui viennent nous voir en nous posant mille questions sur comment on vit la saison, sur les points forts et les points faibles pour le prochain match, etc. Il y a toujours cette petite fierté de se dire que s’ils y croient, c’est que notre visite tient bien la route, qu’on a réussi à y intégrer un vocabulaire très adapté (le vocabulaire et les expressions orales du monde du rugby valent le détour et on s’est bien amusés à découvrir ça). Après, lorsqu’on vient nous poser des questions auxquelles on ne sait pas répondre, on assume notre position : nous ne sommes “que” guides et pas de réels supporter. Dans ce cadre très précis du monde du sport de compétition (où l’on accueille des personnes qui souvent n’ont aucune habitude de la visite guidée qui plus est), cette annonce peut créer des déceptions, parce que les gens ont projeté sur nous une vraie supportrice, une des leurs, avec toute l’émotion qu’il y a autour du sport.
L’occasion de communiquer sur la réalité de notre métier
Ce genre de réaction n’arrive jamais à ce point dans les visites sur des sujets moins empreints d’émotions fortes. Et si parfois vous sentez poindre une légère déception de vos publics parce qu’ils vous pensaient plus expert que ça, comme cette petite déception que l’on sent chez les publics quand on leur dit qu’on n’est pas originaire du lieu qu’on fait visiter… Dans ce cas, c’est l’occasion de communiquer sur la réalité de notre métier. C’est l’occasion de dire que nous ne sommes pas experts mais nous avons fait de larges recherches pour sélectionner ce que l’on estime important de transmettre, qu’on a travaillé un discours cohérent, fluide, compréhensible et capable de s’adapter à nos groupes, que notre travail est rarement stable et bien payé, ce qui nous amène à bouger sur différents territoires, parfois même nous sommes saisonniers. Ça peut ouvrir des discussions intéressantes aussi !
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