Former des guides : enjeux et outils.
On accueille régulièrement des nouveaux guides chez Cybèle. Que ce soit pour l’équipe permanente (mais on espère qu’elle restera stable pour quelques temps) mais aussi les stagiaires que l’on accueille presque chaque printemps pour mener des visites. On sait que la formation c’est un vrai enjeu pour beaucoup de structures qui embauchent des saisonniers. Il y a parfois un guide référent ou chargé de médiation, qui transmet aux guides saisonniers.
Après être passée de la formée à la formatrice, voici un article pour réfléchir aux questions à se poser pour former un nouveau guide.
Le contenu : bien orienter les lectures
On pense souvent d’abord au contenu. Il est effectivement important qu’un contenu fiable soit transmis et il peut être transmis par des lectures. On le sait, deux historien·nes qui étudient le même sujet, peuvent en parler très différemment. Il y a des documents synthétiques, d’autres plus fouillés. Il y a les écrit sur le sujet traité et d’autres plus généralistes sur la période, le contexte historique général, et. Il est donc toujours intéressant d’aider la personne qui débarque en lui pointant les “bonnes” lectures (celle qui nous semblent fiables et intéressantes mais aussi accessibles pour son niveau) et l’ordre dans lesquelles s’en emparer pour entrer dans le sujet.
On peut aussi préparer soit même un document sourcé. Nous, on appelle ça l’iceberg (vous savez, c’est la partie immergée de l’Iceberg, tout ce qu’on ne dit pas au public mais qui est indispensable pour que la visite soit solide). Il rassemble tout ce qu’il est important de savoir autour du sujet et au-delà de ce qu’on dira dans la visite. L’idée c’est de faire un document synthèse qui condense le contenu historique et mettant en lien des fiches de lectures ou des références d’ouvrages d’où viennent les informations. C’est un document synthétique mais avec des tiroirs pour approfondir. L’avantage d’un tel document, c’est que d’une année sur l’autre on peut le ressortir (en l’actualisant au besoin) et il devient une référence pour tous les nouveaux venus. C’est un gros travail de préparation mais si l’on doit former chaque année de nouvelles personnes, ça finit par être un vrai gain de temps !
Outre les lectures, il y a aussi des contenus qui peuvent être transmis à l’oral également. On peut faire un tour sur le site pour détailler certaines informations, repérer des traces visibles de l’histoire sur les lieux, etc.
Point important sur le contenu, il est aussi appréciable d’avertir les nouveaux sur les pièges de la visite pour qu’ils puissent se préparer. En tant que formatrice, on connaît les points touchy, les questions récurrentes du publics et pour donner un peu d’assise et de confiance aux nouveaux guides, on peut leur donner des billes pour savoir répondre à ces questions. Dans mon cas, lorsque je parlais d’architecture militaire du 17e siècle, ma super formatrice m’a dit d’apprendre par cœur les calibres qui étaient utilisés à cette époque. J’ai effectivement été confrontée deux fois dans la saison à des hommes, adeptes d’histoire militaire, qui ont “vérifié” mes connaissances (et clairement il était question de ça) en me posant une question sur le calibre.
La souplesse : laisser s’approprier les sujets
Orienter les lectures pour faire gagner du temps de recherche bibliographique ou pour éviter des lectures de mauvaise qualité : OUI. Par contre, il faut faire attention à garder de la souplesse et à ne pas imposer un discours trop figé. C’est souvent ce qui est reproché aux structures qui embauchent en masse et qui, par souci de facilité et de réduction du temps (et donc du coût) de formation, imposent un texte à apprendre. Pour une bonne visite, il faut passer par un temps d’intégration du contenu, de digestion de l’information et d’appropriation du parcours. Et un discours trop figé ne permet pas ça. Chacun doit pouvoir mettre sa patte, donner sa dynamique et mettre de sa personnalité dans sa visite, sinon le résultat risque d’être mauvais. Autant se contenter d’un seul document à lire dans ce cas là !
De la même manière, il y a ceux qui pensent que les nouveaux guides se forment en suivant les visites des autres guides du site, d’autres qui, au contraire, refusent à tout prix que les nouveaux suivent une visite pour laisser la liberté au nouveau de construire son propre chemin logique, sans être influencé. Je ne serai pas tranchée sur ce sujet. Je pense que ça dépend vraiment de la nouvelle personne. A-t-elle une mémoire auditive ? Auquel cas, ça peut l’aider d’entendre les autres. Est-elle très influençable ? Cela risquerait de l’enfermer directement dans un discours qu’elle copierait et qui ne serait pas assimilé. Une alternative pourrait être de laisser la personne s’approprier le contenu et faire son propre parcours et ensuite de suivre les autres guides pour s’inspirer de ce qui lui semble pouvoir enrichir ce qu’elle a construit. Bref, je pense que ce n’est pas forcément à la formatrice de décider de ça, mais à cette personne, qui se connaît et qui saura vous dire ce qu’elle préfère !
La mise en corps et en voix : trop souvent négligée !
Comme toujours, dans la formation de nouveaux guides, on va se concentrer sur le contenu ! Et quid de la fluidité du discours, de la formulation des informations, de l’humour, des références à la pop-culture, … ? Il ne faut pas négliger le temps nécessaire pour tout un chacun, de mettre sa visite en voix et en corps. Si la visite n’est que sur un bout de papier et de manière cérébrale, dans notre tête, les premières risquent de ne pas être très vivantes. Il faut laisser du temps pour “mâcher” sa visite, et la mettre en corps. Parler à haute voix, faire des simulations avec des grands gestes sur site, c’est hyper important !
La formation passe par des répétitions, comme au théâtre ou en musique. La personne formée va “jouer” sa visite plusieurs fois, par petits morceaux. Et en tant que formatrice, je l’écoute et l’oriente. Si tel passage n’est pas très compréhensible, si tel autre n’est pas très juste historiquement, si l’on s’ennuie à tel ou tel endroit, comment dynamiser la visite, etc. Et puis il y aura la “répétition générale” où la visite sera menée entièrement, en conditions réelles, sur les lieux. Idéalement, cette répétition générale, peut être faite pour un vrai public test, mais ça peut aussi être pour des amis, ou des collègues (selon les possibilités de la structure). Être devant un groupe permet de tester la fluidité du discours, les effets, l’humour, le rythme grâce aux réactions et aux retours, c’est hyper important ! Attention, dans ce genre d’exercice, le groupe de visiteurs testeurs a tendance à vouloir jouer les clients désagréables pour voir si la personne est solide, mais pour un premier test, ce n’est pas le moment, ni l’objectif. Il y a déjà beaucoup de choses à observer et à tester pour la personne qui mène la visite, il ne faut pas ajouter de la complexité ou de l’adversité !
L’adaptation spécifique aux lieux
La formation doit aussi intégrer les contraintes liées aux lieux. On le sait, que ce soit dans un musée ou dans la rue, il y a énormément d’adaptations à faire en fonction de la saison, de l’affluence, de la météo, de l’importance du groupe. Il est important de transmettre les spécificités du lieu de travail. Quand on forme quelqu’un dans le Vieux-Lyon au mois de février, il faut le prévenir qu’au mois de juin, c’est rempli de monde. Il faut donner les lieux agréables et ceux qui sont à éviter, les lieux de repli en cas de pluie ou de fortes chaleurs, les alternatives si l’endroit prévu est déjà occupé par un groupe…
Nos outils de transmission
J’ai orienté cet article sur des réflexions généralistes pour que ça puisse parler toutes et tous, mais vous le savez, chez Cybèle notre priorité n’est pas le contenu, mais bien l’art de raconter ! Nous on prévoit toujours un mois entier de formation avant de lancer nos stagiaires dans l’arène. Nos stagiaires ne font que des visites contées et on commence par les faire travailler sur des histoires qui n’ont rien à voir (existantes ou inventées) avant de leur faire lire les contenus et les visites en elles-mêmes. Voici les outils que nous utilisons :
- L’iceberg : J’en parle plus haut. Il s’agit d’un document de contenu pur en lien direct avec la visite et avec toutes références bibliographiques. Nous avons un iceberg par visite.
- Le canevas : C’est assez spécifique à notre pratique de visite contée mais il peut tout à fait s’adapter à des visites plus classiques. Ce document détaille scène par scène les informations suivantes : le déroulé des actions (puisque nous racontons des histoires avec des péripéties), les enjeux narratifs (pour que le récit soit bien tenu), les informations historiques obligatoires et facultatives, et quelques indications de guidage (pour s’adapter à chaque lieux et circonstances).
- L’exemple de récit : ça c’est le texte de la visite rédigée. Mais on le présente bien comme un “exemple de récit”. Il n’est pas possible de s’en contenter, de l’apprendre par cœur, mais ça peut-être une source d’inspiration si nécessaire. Selon les personnes, ça peut être une base d’apprentissage très utile, d’autres préfèrent construire leur discours et leurs propres images.
Support, temps et souplesse
Pour résumer, il faut proposer des outils solides sur lesquels les nouveaux peuvent s’appuyer sereinement. Ça fait gagner un temps fou en évitant de s’éparpiller dans des recherches bibliographiques ou des lectures redondantes ou peu pertinentes. On peut aussi avoir d’autres documents type “déroulé de visite” qui peuvent être utilisés soit dès l’arrivée, soit dans un second temps, soit jamais, selon les besoins de personne.
Former ça prend du temps. On ne peut pas se dire qu’en 2 jours, ni même en une semaine, les nouveaux arrivants seront aptes à faire une visite qui tienne la route. Trop souvent les structures ne prennent pas en compte ce temps de formation qui est pourtant indispensable. Découvrir le lieu, se renseigner sur les sujets, sélectionner certains aspects, suivre et écouter les autres, mémoriser, mettre en corps et en voix, tester, sont autant de passages obligés qu’on ne pourra jamais éviter. Chaque phase peut être accompagnée et facilitée par la formatrice, mais supprimer sciemment certaines étapes, c’est prendre le risque de proposer une médiation médiocre à vos publics d’une part et mettre en péril votre nouvelle recrue d’autre part !
Une autre chose nous paraît primordiale à avoir en tête : on ne forme pas deux personnes de la même manière ! Former, ça demande une vraie adaptation aux besoins de chacun·e et qu’une formation ne peut jamais se résumer à une transmission de document, si précis soient-ils. Il faut accompagner, écouter, voir et s’adapter en fonction des points forts, et des besoins de chacun.
Cybèle recrute !
On profite de cet article pour partager notre offre de stage, on recrute pour la saison de printemps : entre février et début Juillet !
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