
Les visites insolites rabaissent-elles le niveau ?
Dans le milieu de la culture en général, de la visite guidée plus spécifiquement, il y a ce lieu commun qui dit que si on enlève du contenu, si on ose vouloir jouer ou pire… se détendre, on ne serait pas au niveau et on proposerait des visites au rabais. On vous explique pourquoi on n’est pas d’accord avec cette idée-là.
Plus insolite : moins de contenu
Pour faire des visites théâtralisées et contées, on fait des choix de contenu. C’est vrai. Pour faire n’importe quel type de visite d’ailleurs c’est le cas puisqu’on a 1h30 ou 2h pour raconter un monument, une ville, ou un évènement… or on en sait souvent beaucoup plus que ce qu’on dit.
Mais c’est peut-être encore plus vrai pour les visites dans lesquelles on met à l’honneur l’émotion, les personnages, le sensible. C’est logique, puisque ajouter de l’émotion, ça prend du temps qu’on enlève au contenu. Le temps de faire une blague, une interaction, c’est un temps où l’on ne délivre pas des informations.
Donner moins de contenu c’est mépriser nos visiteurs ?
Dans des discussions avec d’autres guides, que ce soit en formation ou dans nos connaissances, on accuse les personnes qui font des visites ludiques de “rabaisser le niveau”. Il y a cette idée que si on ne délivre pas le maximum de contenu, on prend les gens pour des imbéciles. Comme si, enlever du contenu c’est penser que les gens ne sont pas capable d’apprendre et d’ingurgiter un grand nombre d’informations. L’idée va même plus loin. On entend de la part de certaines de nos interlocutrices qu’il y a de plus en plus des visites ludiques et que le risque c’est qu’il n’y ait plus de visites “studieuses”. Comme si on entrait dans le cercle vicieux qui nous mènera à un peuple ignorant, incapable d’apprendre et de se concentrer sur des contenu exigeant.
Pourtant, il y a des guides bavards qui vont dire peu de choses en beaucoup de mots, d’autres concis, qui vont formuler avec précisions et pourrons dire beaucoup de choses en peu de temps. Alors les guides concis sont-ils forcément meilleurs ? Ils ont tendance à délivrer plus de contenu que d’autres durant un temps donné. Est-ce qu’ils relèvent ainsi le niveau ?
Par ailleurs, les personnes qui suivent régulièrement différents types de visites ont toutes constaté que parfois, des visites qui laissent une grande place à l’émotion n’en sont pas moins exigeantes en termes de véracité historique et que l’inverse existe aussi. Certaines visites, très sérieuses dans leur forme et leur ton, ne sont pas si pointues dans leurs sources historiques.
Décider à la place des gens ce qui est bon pour eux
Nous, on pense que ce n’est pas prendre les gens pour des idiots que de leur proposer des visites avec des formats différents. Nos publics sont tout à fait capables de savoir ce qui leur correspondra (visite classique, contée, ludique, ou tout autre forme). Et pour une même personne le choix de visite peut tout à fait dépendre de ses attentes générales, de son mood du moment, de ses connaissances préalable sur le sujet abordé, des personnes avec qui il va partager ce moment, etc..
Nos publics sont aussi tout à fait capables de voir l’exigence de contenu que leur offre leur guide que ce soit dans un contexte de visite classique ou ludique. Faisons leur confiance, non ? Pour cela, notre seul travail est de faire une proposition claire et de communiquer correctement dessus afin que le public sache à quoi s’attendre.
Le mépris ne serait-il pas de penser que nous savons mieux qu’eux ce dont ils ont besoin ? Nos publics ont du discernement et sont capables de choisir ce qui leur convient, tout autant que de juger l’intérêt de nos différentes propositions.
Un exemple nous vient en tête : celui du musée Gadagne à Lyon qui a refait toute sa scénographie récemment en enlevant beaucoup d’objets. De nombreuses personnes (dont pas mal de guides) avec qui nous en avons parlé déplorent un appauvrissement, une “baisse de niveau”. En revanche, toutes les personnes qui ne travaillent pas dans la culture mais qui fréquentent un peu les musées nous ont dit qu’elles trouvaient le musée d’avant trop long, trop chargé, avec trop de choses et que désormais, ça leur semblait beaucoup plus accessible.
Une visite avec moins de contenu a moins de valeur
Il nous semble qu’il y a une forme de jugement derrière tout ça. On l’a nous-même vu et vécu dans nos formations de guides. Le jour où l’une de nous a trouvé un stage pour créer des visites pour les enfants, un enseignant avait répondu “si ça vous amuse”. Pour cet enseignant, faire des visites pour les enfants, donc avec moins de contenu, ça avait moins de valeur qu’une visite pour des vieux érudits, amateurs d’arts depuis toujours. C’est très problématique.
À cause de ça, on avait totalement intériorisé cette idée avant d’y réfléchir sérieusement et de la déconstruire. À nos tout-débuts, alors qu’on voulait déjà faire des visites théâtralisées et contées très accessibles, on mettait un point d’honneur à communiquer avec beaucoup (trop) de sérieux. On a longtemps bataillé pour ça en rejetant les mots “divertissement” et “animation”. Comme s’ils étaient des mots vulgaires, des gros mots. Aujourd’hui on les assume complètement et nous sommes convaincus que notre travail c’est en partie de l’animation. Si l’on parle devant un groupe, c’est qu’on a envie de faire du lien entre nous et ce groupe, entre les différents membres du groupe, et entre les participants et ce que l’on raconte. Faire ce lien c’est une forme d’animation !
De le même façon, on constate chez la quasi-totalité des guides que l’on forme une obsession pour la quantité de contenu, au détriment de la qualité de la forme.
Là où l’on pense qu’il faut rester vigilant, c’est qu’il y a une vraie demande des publics et donc une pression des institutions pour que les guides proposent des visites “originales”, “insolites” ou “décalées”, sans aucune connaissance des mécanismes et techniques de ce genre de visite. Et ces missions sont confiées à des guides qui n’ont jamais fait ça et qui n’ont pas du tout été formées dans ce sens et surtout qui n’en ont pas envie parce qu’elles pensent que c’est un travail qui a moins de valeur qu’une conférence érudite.
On ne le dira jamais assez et s’il y a des chargés de développement des publics qui nous lisent : On ne force pas quelqu’un à faire des visites insolites. Ça demande trop d’implication personnelle, c’est un échec à coup sûr. Et encore moins si on ne met aucun moyen pour les former !
Arrêtons de prendre les gens pour des idiots incapables. Proposons leur toute la diversité de ce qui existe avec nos propres compétences. Ils sauront parfaitement ce dont ils ont envie ou besoin !
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