« Oui mais vous c’est pas pareil. »
Cela fait plusieurs fois que l’on vient nous chercher pour intervenir dans des tables rondes, des journées d’études ou des rencontres professionnelles, et qu’on nous demande de parler de nos visites si différentes, si insolites, si originales…
Et depuis quelques temps (depuis que l’on forme d’autres guides qui font des visites dites “classiques”) on n’arrive plus à tenir ce discours qui voudrait que nos visites soient radicalement différentes des visites classiques. Ce qu’on fait n’est ni très différent, ni réellement insolite, ni vraiment original.
Une visite guidée c’est une visite guidée
Ce qu’on fait, nous, c’est ce que font *presque* tous·tes les guides :
- On accueille des groupes de personnes en ville
- Certain·es connaissent un peu, d’autres pas mal, d’autres pas du tout
- Ces personnes viennent pour découvrir un quartier, une thématique, une période historique, apprendre des choses, passer un moment agréable
- On marche avec elles et eux, et sur le parcours, on s’arrête pour leur montrer des choses, et leur donner des explications en lien avec ce qu’on leur montre
- Selon ce qu’on ressent des gens en face de nous, on allonge, on raccourcit, on simplifie, on va plus loin dans les explications techniques, bref, on s’adapte.
La base d’une visite guidée quoi. On fait ça, et vous qui nous lisez faites probablement ça aussi.
Des thématiques insolites ? Même pas.
On dit qu’on fait des visites “insolites”, et bien sûr, c’est du marketing, ça ne veut rien dire du tout, car nos thématiques sont les mêmes que tout le monde !
Pas parce qu’on n’a pas d’imagination, mais parce qu’on a envie de vivre de notre activité et qu’il faut vendre ! Et même si tout le monde veut “sortir des sentiers battus”, on sait bien qu’en fait tout le monde veut d’abord voir les traboules du Vieux-Lyon.
En 12 ans d’activité, on a donc vendu 85% de nos billets dans le secteur UNESCO (Fourvière, Vieux-Lyon, Croix-Rousse, Presqu’île), seulement 15% en rive gauche (donc la zone pas du tout touristique de la ville). Dans le secteur UNESCO, on vend 72% des billets dans le Vieux-Lyon et la Croix-Rousse parce que les gens veulent voir les TRABOULES. Comme tout le monde quoi.
Souvent, on nous parle de nos thématiques originales comme la visite coquine ou les visites Cymoche. Mais soyons honnêtes, ces 2 visites représentent un pourcentage minime de nos ventes : 5% pour la visite coquine, 0,45% pour les visites Cymoche.
Bref, comme tout le monde à Lyon, on parle des traboules, de la Renaissance, de la soie, des révoltes des Canuts et de Lugdunum capitale des Gaules, rien de bien insolite.
“Oui mais vous c’est pas pareil”
Et pourtant, à chaque fois qu’on échange avec des collègues sur notre pratique, sur ce qu’on met en place pour travailler, on nous répond toujours la même chose : « Oui mais vous c’est pas pareil ». Comme si on faisait un autre métier.
- C’est bien de s’échauffer le corps et la voix avant les visites : “oui mais vous c’est pas pareil, vous êtes comédiennes !”
- Notre métier c’est de raconter des histoires : “oui mais vous c’est pas pareil, vous faites des visites contées !”
- Il faut parler distinctement et faire de grands gestes pour être entendu·e de tout le monde : “Oui mais vous c’est pas pareil, vous êtes en représentation !”
Vraiment ? Est-ce qu’on fait vraiment un autre métier ?
Même si on se dit “guides comédien·nes”, on pense qu’on fait le même métier que nos confrères et consœurs guides, médiateur·trices. Et ce qui nous le prouve, c’est que tout ce qu’on fait, on le transmet en formation et les gens trouvent ça utile.
Si notre métier était différent, nos techniques n’auraient aucun intérêt pour les autres guides.
L’évolution du métier
Ce qu’on pense maintenant, c’est que tout ce qui a fait de nos visites des visites très originales il y a 10 ans pourrait maintenant être un lieu commun dans le milieu de la visite guidée.
Les questions de forme, de posture corporelle, de travail du corps et de la voix, d’émotion, tout le monde pourrait se les poser, et ça pourrait être la base de notre métier à tous·tes.
Nous avons changé et nos publics ont changés. Ils regardent des chaînes Youtube super travaillées pour s’instruire, ils écoutent des podcasts avec des montages sonores hyper immersifs, ils ont accès à wikipedia dans leur poche pour avoir les infos de base que toute visite de base leur délivrera, et nous (pas nous Cybèle, nous et vous, toute la profession quoi !), nous n’avons pas le choix que de suivre ces changements. Nous avons tous·tes envie de proposer des visites plus ludiques, plus vivantes où les publics apprennent des choses mais surtout passent un bon moment ! Fini les conférences interminables où on reste 3h debout au même endroit pour entendre un·e érudit·e nous dérouler sa thèse. (Même nous ça nous ennuie !!)
On se dit qu’on est sur la bonne piste parce que depuis qu’on a commencé Cybèle il y a 12 ans, on a vu apparaître des tas d’autres formes de visites guidées. On a vu des comédiens s’associer avec des guides pour travailler ensemble. On a vu des “visites contées” apparaître dans les programmations de tous les musées. On a vu le développement intensif des visites jeu, des murder parties, des enquêtes, des jeux de pistes. Il y en avait un peu avant, certes, mais aujourd’hui c’est incontournable.
Ce sont les visites qui ont changé
Aujourd’hui, on est de plus en plus nombreux·ses à nous demander non pas seulement “quoi dire” mais aussi “comment le dire”. C’est à peu près la seule question qu’on a eu l’impression de défricher tous seuls il y a 12 ans quand on a commencé Cybèle.
Pas parce qu’on était les seul·es et qu’on était des précurseur·euses de génie. Mais parce qu’on était encore trop peu nombreux·ses (et trop éloignés) à se poser cette question : comment soigner la forme de notre discours pour que notre public le reçoive ce qu’on a à dire le mieux possible ?
Alors peut-être qu’il y a 12 ans, c’est vrai, on n’était pas pareil.
Mais aujourd’hui, on est super heureux·ses de voir se développer partout des visites contées, des visites théâtralisées, et de voir surtout des guides partout qui réfléchissent à leur corps, à la façon qu’ils et elles ont de parler, de se tenir, qui font du théâtre, et qui ne réagissent plus comme si on les avait insulté quand on dit qu’être guide, c’est être un personnage, et qu’on doit travailler avec les outils du théâtre.
C’était le sujet de notre tout premier article de ce blog (émotion 🥹), il y a un peu plus de 6 ans : on partait d’un commentaire vu sur twitter où une guide s’offusquait : “certains pensent déjà que les guides devraient être des clowns …”
Aujourd’hui, *presque* plus personne ne s’offusque, et chez Cybèle, on espère qu’un jour on fera “juste des visites”. Pas parce que nos visites auront changé mais parce que tout le monde fera des visites incroyablement créatives et pleines d’émotion. Et ça sera juste des visites guidées de base et les gens trouveront que faire des visites guidées, c’est une activité hyper cool !
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