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Peut-on être médiatrice quand on est experte ?

Doit-on être experte* dans son domaine pour être une bonne médiatrice* ?
Et surtout : une experte (historienne, conservatrice, etc.) est-elle forcément une bonne médiatrice ?

Deux questions fondamentales dans notre métier qu’il nous a paru intéressant de poser.

Le savoir-faire de la guide ou de la médiatrice.

La compétence d’une guide ou médiatrice, c’est de faire le lien entre un contenu (historique, scientifique, patrimonial, artistique, etc) et un public. Le but de notre métier est de faciliter le lien entre le contenu et le public afin que le public s’approprie, comprenne, s’interroge, et éventuellement apprécie.

Notre savoir-faire est donc de tisser des liens, trouver des outils pour aider le public à s’approprier et / ou comprendre. Notre savoir-faire n’est pas d’être expert sur un domaine scientifique.

Le savoir faire de la médiation n’est pas non plus une compétence innée pour tout le monde. C’est un métier qui s’apprend, qui s’enrichit avec l’expérience, et surtout, il ne suffit pas de connaître son sujet et d’être passionné pour être une bonne médiatrice. Il y a tout un pan technique, pratique, qui s’acquiert avec l’expérience et que l’on ne peut pas négliger si l’on souhaite faire du bon travail.

Médiatrice : un savoir-faire naturel pour tout le monde ?

Mais alors pourquoi voit-on souvent, dans presque toutes les institutions culturelles, le travail de la médiation confié à des expert.e.s qui ne sont pas médiateur.trice.s ? Alors qu’il y a des guides dans toutes les structures ! Pourquoi une conservatrice de musée ou une commissaire d’exposition est-elle sollicitée pour faire une vidéo de médiation ou pour mener des visites guidées ?

Ce n’est pas son métier, elle n’a (à priori) pas été formée à la médiation culturelle, et il y a très probablement des médiatrices disponibles dans sa structure.

La véritable question qui se pose, c’est alors : comment valoriser les compétences et les savoir-faire des médiatrices, quand on considère que n’importe qui peut faire ce qu’elles font ? On ouvre des formations de médiation culturelle dans toutes les universités, mais en même temps, on confie ce travail à des gens qui n’ont jamais été formé, et qui n’ont pas ou peu d’expérience.

D’ailleurs, on sait très bien que plus on est experte dans un domaine, et plus c’est difficile d’en parler. Lorsque l’on cherche à parler d’un sujet que l’on maîtrise moins bien, on va faire beaucoup plus de recherches, et on sait ce que traverse le public qui n’est pas familier avec ce sujet. Quand on est passée par là, on trouve le chemin plus facilement pour permettre à un public novice d’apprivoiser ce contenu en douceur.

Être passionnée ou être passionnante ?

Cela nous mène à cet horrible lieu commun dans le monde de la médiation, des musées et du patrimoine en général, tant du côté des professionnel.le.s que des publics.

On croit souvent que quelqu’un de passionné sera forcément passionnant. C’est d’ailleurs un commentaire très fréquent que fait un spectateur qui a passé un bon moment en visite : “Le.la guide était tellement passionné.e par son sujet !

On peut sans problème pardonner cela au public : qu’il pense qu’une guide passionnée est forcément passionnante, sans aucune connaissance du métier, c’est normal. Mais de la part des professionnel.le.s de la médiation, c’est un peu plus problématique.

Il n’est pas nécessaire de rappeler que la médiation repose sur un savoir-faire, des techniques, qui permettent au public de se passionner pour un sujet. La question n’est pas de savoir si la médiatrice est passionnée, mais comment peut-elle être passionnante.

Parce qu’il est tout à fait possible (nous en avons fait l’expérience plusieurs fois chez Cybèle) de donner l’impression d’être passionné.e par un sujet dont on se contrefout totalement. En faisant croire que l’on est passionné (oui, il faut mentir un peu), et surtout en utilisant les bons outils, les bonnes techniques, on passionne le public, et c’est la seule chose qui compte non ?

Par exemple : faire des visites de stade et que le public reparte en étant persuadé d’avoir été guidé par le.la plus grand.e supporter.trice de l’équipe ! 😉

On a tous fait l’expérience d’un.e prof dans l’enseignement supérieur, passionné.e par son sujet, mais qui était dans l’incapacité totale de le rendre passionnant. Des personnes passionnées qui ne sont vraiment pas passionnantes, on en a tous.tes croisés un jour.

Notre rôle, en tant que médiatrices, n’est pas d’être passionnées, mais d’être passionnantes.

Être un “puits de science”

C’est le deuxième commentaire enthousiaste que nous font souvent des publics : “Cette guide était vraiment passionnante, c’était un puits de science, elle maîtrisait son sujet à la perfection !

Là encore, que le public pense que la visite réussie et la guide était douée parce qu’elle était très érudite, c’est normal. Mais ce que je me dis, en tant que professionnelle de la médiation, c’est que cette guide là a su expliquer vraiment beaucoup de choses à son public, que c’était très bien fait techniquement et que cela lui a permis d’aller assez loin dans une explication détaillée. Qu’en plus d’être bien documentée, elle maîtrisait parfaitement les outils de la médiation et que le public a eu accès à tout cela.

Si la guide en question était un « puits de science » mais ne maîtrisait pas les outils de la médiation, le retour aurait plutôt été… “C’était hyper long…” ou bien “Franchement j’ai pas tout compris.”

Encore une fois, ce qui nous intéresse c’est que public ait l’impression d’avoir accès à ce “puits de science”. Et bien souvent, si l’on connaît le strict minimum, et que l’on sait le transmettre de façon complète et claire, cela suffit amplement.

Pas besoin d’être un puits de science donc, mais savoir se faire comprendre et savoir mobiliser l’attention du public, oui.

Besoin d’expertes ET de médiatrices

Notre souhait le plus cher, serait donc que l’on repense la place de chaque métier. Que les expertes, les historiennes, les conservatrices et les commissaires expliquent, avec tous les détails possible (et de façon rébarbative s’il le faut…) aux médiatrices. Que les médiatrices s’abreuvent de ce contenu, puis qu’elles le digèrent, qu’elles le re-travaillent, et qu’elles en fassent profiter le public, avec toute leur créativité et tout leur savoir-faire !

Que les expertes et les médiatrices travaillent main dans la main. Que l’on considère que chaque rôle n’a pas d’intérêt sans l’autre. Que l’on sache où sont nos compétences, et comment les utiliser à bon escient.

En conclusion, le rôle de la médiatrice ce n’est pas d’être passionnée ni d’être très pointue. Le rôle (et la mission) de la médiatrice, est de passionner les gens, et de leur permettre de toucher du doigt des contenus parfois très pointus. Faire de la médiation, c’est faire le lien entre le contenu et le public, quelque soit notre goût ou notre expertise pour ce contenu.


* Pour cet article, nous avons utilisé le terme “médiatrice” et nous écrivons en général au féminin car notre profession est majoritairement féminine. Nous avons choisi d’utiliser l’accord de majorité. Mais messieurs les médiateurs, vous êtes bien sûr inclus, autant que toutes les femmes le sont lorsque l’on parle de “médiateurs”.


Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

Cet article comporte 5 commentaires

  1. Merci beaucoup pour cet article, je vais me faire le plaisir de le partager à certains « passionnés » la prochaine fois que je dois à nouveau expliquer le rôle de la médiation au Musée !! 🙂

  2. Merci pour cet article, qui rappelle des éléments utiles ! Comme vous je suis toujours étonné de voir des conservatrices ou expertes présenter des expositions dans des formats qui visent un large public (visites filmées par exemple, qui se sont multipliées en ces temps de fermeture…) alors qu’en interne il y a des pros de la médiation bien plus compétents et dont c’est le métier !
    Cela dit, il me semble qu’il peut parfois y avoir des passerelles entre ces deux métiers/postures et qu’il est aussi intéressant de casser un peu les barrières, si les gens ont envie d’élargir leur domaine de compétences : des médiatrices pourraient alors faire des conférences grand public ou certaines expertes qui en ont envie pourraient se former (un peu) à certaines techniques de médiation… Et les deux devraient alors pouvoir se sentir légitimes. En fait, j’ai l’impression qu’actuellement le rapport est déséquilibré car on part du principe que n’importe quelle experte est complétement légitime à parler au public de son sujet en toute circonstance (conférence, cours, visite guidée…) alors qu’en revanche, souvent on ne reconnaît pas les compétences des médiatrices (déjà pour la médiation), mais en plus certaines expertes dénient leur capacité à parler à certains publics spécifiques (il y a à mon avis beaucoup d’élitisme culturel derrière tout ça, et c’est particulièrement marqué en France…). Bien sûr tout le monde ne se sent pas à l’aise de sortir de sa zone de compétence/confort, mais si l’on a envie de tester ou se former, on devrait pouvoir se sentir à l’aise de le faire tout en étant humble (personnellement, je suis plutôt dans la catégorie « expert », je n’ai eu qu’une seule véritable expérience de médiation en tant qu’étudiant pour la Nuit des musées, donc c’était de la « médiation érudite » et je ne me sens pas du tout compétent pour faire des visites guidées ou d’autres formes de médiation, car je n’y ai pas du tout été formé !)
    Une autre réflexion à la lecture de cet article : est-ce que ce n’est pas aussi l’occasion de réfléchir à/tester d’autres formats de médiation mêlant médiatrices et expertes ? Des visites en duo peuvent aussi bien fonctionner dans certains cas, non ? Qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà travaillé avec une experte sur une médiation et si oui, qu’avez vous retiré de cette expérience (qui me semble intéressante pour l’échange mutuel, ça doit être riche) ?

    1. Merci Damien pour ce retour,
      concernant les visites en duo, je pense qu’elles fonctionnent forcément, avec n’importe quel type de duo, à partir du moment où elles ont été bien construites ! Nous n’en avons jamais mené, mais il n’y a aucune raison que cela ne fonctionne pas. Les seuls duos de médiation que nous avons mis en place étaient avec des comédiens ou marionnettistes. 🙂
      Ce que nous avons faisons tout le temps, par contre, c’est de consulter des expert.e.s, puis de travailler à une forme de médiation, puis de revenir vers elle.eux pour validation/amélioration, puis retravailler…
      C’est par exemple comme ça que l’on a construit notre « guerre du système immunitaire » avec une médecin généraliste ! https://youtu.be/z2myjfm2AN0

  3. Merci pour ce nouvel article. C’est très intéressant et çà me rappelle bon nombre de discussions entre collègues. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que quelqu’un de passionné et/ou expert n’est pas forcément passionnant. J’en ai fait l’expérience en visio il y a encore seulement quelques jours. C’est désespérant.
    Les guides et médiateurs culturels sont formés et aptes à être ce lien, « ces passeurs de savoir », et trop souvent, surtout en ce moment, ils sont négligés, mis dans l’ombre, laissés au chômage partiel au profit de personnes plus officielles. C’est parfois dommageable.
    Toutefois je pense aussi qu’en tant que guide/médiateur, il faut savoir se passionner pour tout nouveau sujet, même ceux qui nous rebutent au premier abord. Il faut avoir la curiosité intellectuelle de sortir de sa zone de confort, d’aller au-delà de ses apriori.
    Bonne journée

    1. Merci Marie-Laure, bien sûr, c’est passionnant de découvrir de nouveaux sujets, j’avoue que je ne suis toujours pas pro-sport à haut niveau (et même plutôt contre), mais j’ai ADORÉ découvrir ce milieu et j’ai trouvé ça passionnant ! Et je m’éclate toujours autant à mener ces visites même si je n’accroche pas au sujet ^^

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