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Pourquoi le combat pour la carte de guide est stérile ?

Note : cet article utilise l’accord de majorité et évoque les guides au féminin. Chers confrères, vous êtes bien évidemment inclus dans ce féminin-neutre.

Depuis qu’on a fondé Cybèle, on en parle en équipe entre nous, on évoque parfois le sujet très rapidement lors des formations que l’on mène si on nous pose la question, mais on n’a jamais rien écrit sur la carte de guide conférencier. On fait le choix aujourd’hui d’apporter une voix dissidente au discours largement entendu sur ce sujet. On écrit aujourd’hui et on ne réécrira plus là-dessus par la suite. 

Le sujet est délicat à aborder. C’est tellement LE combat premier des organisations rassemblant des guides qu’il est difficile de nuancer le propos ou d’émettre un point de vue différent. Notre impression, c’est que ce cheval de bataille a pris tellement de place que c’est quasi devenu identitaire pour les guides-conférencières en France. C’est devenu LE seul et unique moyen de défendre notre métier. Dans cet article on va vous dire pourquoi c’est une fausse route selon nous.

Les bonnes guides et les mauvaises guides

Si ce débat est stérile, c’est qu’il part généralement du postulat qu’il y a les guides cartées qui sont de très bonnes guides qui ne délivrent que des informations vérifiées et vraies, et les mauvaises guides qui racontent n’importe quoi. 

Et ce postulat de base nous semble problématique pour plusieurs raisons : 

D’abord, le critère principal que semblent considérer les défenseurs de la carte serait la véracité des informations. Limiter notre compétence en tant que guide à cela nous semble bien réducteur. Il y a des guides qui sont des puits de science, mais qui ne parlent pas assez fort, qui articulent mal, qui ne se tiennent pas droites et sont pleines de tics de langage qui empêchent le public d’écouter. Ces personnes sont elles de bonnes ou mauvaises guides ?

Ensuite, il y a des guides qui racontent plein de faits historiques, et il y a des guides qui choisissent de raconter autre chose. Il y a des guides qui font des visites contées qui racontent des histoires inventées (nous par exemple). Il y a des guides qui peuvent décider de faire des visites “Instagram” parce que certains publics n’ont pas envie d’avoir beaucoup d’infos historiques (et ils ont le droit) mais veulent quelqu’un qui les emmène dans la ville pour prendre les plus belles photos. Parfois, ces personnes posent une question sur un lieu, et sont contentes d’avoir quelqu’un qui vulgarise À FOND et ne rentre dans aucun détail. Ces guides-là doivent-elles être automatiquement disqualifiés ? Autrement dit : ces publics-là doivent-ils être disqualifiés ?
N’oublions pas que pour beaucoup de gens, une guide, c’est une personne rébarbative qui récite un texte et qui dit plein de dates et de mots d’architecture incompréhensibles. On ne peut pas leur demander de venir suivre nos conférences historiques de 2h si elles préfèrent 1h de petites histoires légères et anecdotiques. Cette demande est légitime. 

Enfin, cela voudrait aussi dire que les guides cartées ne font jamais d’erreur, et que les guides non cartées sont incapables de se documenter et n’ont jamais fait d’études. Des étudiantes en histoire qui ont fait 5 ans d’étude et qui font des visites sans carte pendant l’été seraient moins compétentes que des guides conférencières qui ont passé leur licence après un BTS tourisme ? Les médiatrices culturelles qui ont un master ne peuvent-elles pas être aussi compétentes qu’une guide-conférencière, alors qu’elles ont fait 5 ans d’études à se poser les mêmes questions (comment transmettre un contenu exigeant en s’adaptant à son public) ?

Il y a des tas d’autres exemples que nous ne développerons pas, vous en avez forcément en tête. Parce que nous avons toutes déjà suivi une visite guidée où la guide (cartée) se trompe. Ou une visite théâtralisée menée par des comédiennes (pas cartés) où on rigole et en plus on apprend des choses (vérifiées et sourcées) sur la ville. 

De plus, les arguments de comparaison que l’on entend pour justifier un diplôme nous semblent complètement inadaptés à notre métier. « Est-ce que vous confieriez votre enfant à un médecin qui n’a pas passé de diplôme ? » Bon on voit le principe mais l’argument n’est pas justifié, parce que justement, il ne s’agit pas de la survie d’un individu.

De même, vous n’embaucherez peut-être pas votre voisin qui vous a dit qu’il s’y “connait un peu en plomberie” au lieu d’un vrai plombier parce que vous voulez tout faire pour éviter un dégât des eaux. 

Le pire qui puisse arriver, avec une mauvaise guide, c’est que les visiteurs passent un mauvais moment et retiennent des erreurs historiques. Bon.

Pourquoi il faut défendre notre métier, mais pas en misant tout sur la carte ? 

Au final, pourquoi les guides passent autant de temps sur ce combat ? Il nous semble que c’est pour être reconnues en tant que professionnelles et pour arrêter d’être prises pour des étudiantes.

Nous aussi on en a marre qu’à 40 ans, on ne prenne toujours pas notre travail au sérieux en nous demandant en fin de visite : “vous êtes étudiante en quoi ?” ou “Et sinon vous faites quoi dans la vie ?” On comprend le réflexe de mettre en valeur son diplôme, mais ce n’est pas ça qui nous semble important : il faut qu’on échange entre nous pour s’enrichir mutuellement de nos pratiques, qu’on fasse évoluer la formation en la rendant plus adaptée aux différentes facettes du métier, aux différentes attentes des publics et qu’on continue tout au long de nos carrières à monter en compétences. Pas seulement sur le contenu mais aussi sur ce qui fait une bonne visite, le lien au public, la synthétisation, la façon de parler, etc.

Nous aussi on a envie de défendre notre métier et de le faire avancer. Dès qu’on le peut, on se forme. Ce blog, le forum sur discord, nos formations sont autant d’outils qu’on met en place pour transmettre nos réflexions, nos découvertes, et créer des lieux où l’on peut avancer et défendre notre métier. D’autant que les formations menant à ce diplôme sont de plus en plus délaissées, qu’il y a de moins en moins de moyens et donc des formations de plus en plus au rabais. Elles n’évoluent pas malgré les attentes du public qui, elles, ont complètement changé.
Par ailleurs, la LPGC (Licence Professionnelle de Guide Conférencière) est à la fois très généraliste et en même temps, chaque faculté a ses spécificités. Il est impossible, au niveau national d’assurer la garantie d’une expertise spécifique sur tel sujet ou tel format de visite

Chez Cybèle, notre expertise c’est sur la forme que l’on donne à nos visites ainsi que la manière dont on s’adresse à notre public (gestion du corps et de la voix). Nous tentons de transmettre ça au maximum. En parallèle, on continue de se former entre nous sur les contenus historique à travers des conférences, des lectures et des rencontres avec des spécialistes au fil des sujets de nos visites. On a chacune nos compétences à partager et les sujets sur lesquels on peut apprendre des autres. C’est cette émulation qui fait avancer le métier.

Chez Cybèle on est une équipe de 5 guides. On est 3 à avoir la carte et 2 à ne pas l’avoir. Et on aime autant vous dire que les plus tatillons sur la véracité et la précision historique (et la diction et le rapport public) ne sont pas toujours les cartés !

Ces dernières années, on a passé plein de temps à échanger avec des guides cartées, des guides pas cartées, des médiateurs et des médiatrices, des guides bénévoles retraitées et même des guides de “free tours” ! Et ce dont on est sûres, c’est qu’il y a dans cette profession, quel que soit le statut, des personnes formidables, passionnantes et passionnées, et on ne les réduira jamais à un bout de papier !

Quant à la carte de guide-conférencière, on est bien contente de l’avoir, mais c’est surtout parce qu’elle nous permet d’entrer gratos dans certains musées et sites historiques. 🤭


PS : Ce débat tourne souvent autour des free tours et on entend beaucoup d’amalgames entre plein de questions très différentes (statut juridique, modèle économique, véracité des contenus, etc.). Vous l’avez compris, le sujet de cet article, c’est la formation des guides et la qualité des prestations, rien de plus.

Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

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