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Intelligence Artificielle et Visites Guidées

Micro-fiction

Il est 13h lorsqu’on arrive à Montpellier. On se dépêche d’aller déposer nos sacs à l’hôtel et on ressort immédiatement pour aller découvrir la ville. Comme d’habitude, on se laisse un peu porter au gré de nos envies et de nos intuitions. On remonte une jolie rue pavée pour arriver sur une immense esplanade. Des arbres, des piétons, des enfants qui courent. On arrive tout au bout, et on aperçoit quelque chose qui ressemble à un immense aqueduc.

C’est là qu’on se décide enfin à demander des précisions à Gaston. Gaston, c’est le nom qu’on a donné à notre intelligence artificielle de voyage. Depuis plusieurs années, il nous accompagne dans tous nos voyages et nous a fait découvrir des choses incroyables. Je sors mon smartphone, lance l’application et annonce à haute voix : « Gaston, est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur l’aqueduc qui est à côté de nous ? »

Sur l’écran, je vois la géolocalisation qui s’affine, et l’image de l’aqueduc qui apparaît. Une voix masculine sort du téléphone : « Salut les ami·es ! Bienvenue à Montpellier. Ici vous êtes sur l’esplanade du Peyrou, mais pas d’inquiétude vous êtes bien en France. Celui-là s’écrit P-E-Y-R-O-U ! » Depuis qu’on a mis à jour avec la dernière version de l’IA de voyage, Gaston fait des blagues, c’est assez sympa, et la plupart du temps bien fait. On clique sur un pouce levé pour aider l’IA à s’améliorer. « Cet aqueduc que vous voyez là n’est pas du tout romain, il a été construit à la fin du 18e siècle. »

Gaston nous parle pendant environ 5 minutes, nous raconte l’histoire de la construction de l’Aqueduc, en ajoutant quelques éléments de contexte sur l’histoire de Montpellier qui nous donnent envie d’aller plus loin. Depuis le temps qu’on utilise cette IA, il a appris ce qui nous plaisait dans les commentaires. On aime bien les points historiques, pas trop longs, on aime bien en savoir un peu plus sur les particularités des bâtiments ou des lieux. Par contre, on n’est jamais trop intéressés par les chiffres, les tailles, les volumes, les grandeurs, il a fini par les supprimer de son discours sauf quand c’est vraiment important.

À la fin de sa petite explication sur l’aqueduc, Gaston termine en nous disant : « Si vous voulez continuer de vous balader et de découvrir l’histoire de Montpellier, je vous conseille de redescendre vers la gauche, il y a le jardin botanique et l’université de Médecine. Vous en avez pour moins de 10 minutes de marche. Et de là bas, vous pourrez trouver plein de petits cafés et bars pour prendre l’apéro. Bonne balade les ami·es, et n’hésitez pas si vous avez d’autres questions ! » Il nous connaît bien Gaston. En arrivant sur cette esplanade, on a pu apercevoir pas très loin une grande rue commerçante, mais il sait bien que ça ne sert à rien de nous indiquer les endroits pour le shopping, on préfère les bars pour prendre un verre.

On décide de suivre ses conseils pour aller en direction de l’université de Médecine. Arrivés devant, on lui demande à nouveau de nous raconter l’histoire de ce bâtiment en moins de 10 minutes. Il nous parle de la fac de Médecine de Montpellier en faisant des références à des choses qu’on avait déjà visitées, ou des histoires sur Lyon qu’on connaît puis on lui demande de nous indiquer un bar, de préférence une terrasse pour profiter du beau temps avant la pluie. « Bien sûr les ami·es, prenez la montée à droite, vous allez arriver sur la place de la Canourgue, vous pourrez boire un verre en terrasse et je pourrai aussi vous raconter d’autres histoires sur la place si vous voulez ! » En arrivant sur la place en question, on est éblouis par tous ces massifs de fleurs. Gaston nous en parle, en ajoutant deux mots sur l’histoire du jardin botanique, et sur son fondateur, Richer de Belleval. Tiens, d’ailleurs, c’est le nom de l’Hôtel juste en face de nous.

Finalement, on éteint l’application pour profiter de notre petite bière en essayant de se rappeler comment on faisait quand on voyageait sans Gaston. Quand on voyageait hors saison et qu’il n’y avait pas de visite guidée programmée le jour où on était là. On n’avait jamais les moyens de se payer une visite privée, alors souvent on finissait par lire une page wikipedia tous seuls et c’était assez fastidieux.

Maintenant, il y a Gaston pour les petites explications. En plus, on peut lui poser des questions, l’interrompre quand on ne comprend pas quelque chose, où bien lui demander d’arrêter quand on en a marre. On n’a pas peur de le vexer. 

Les visites guidées quand à elles sont devenues des sortes de petits spectacles déambulatoires, c’est toujours artistique, poétique, émouvant, des choses que Gaston ne peut malheureusement pas faire, même si parfois il essaye de nous passer un peu de musique pour agrémenter son discours… Mais quand on veut juste se balader tranquille en amoureux et avoir quelques infos sur le chemin, on est bien contents que Gaston soit là dans notre poche.


C’est possible où c’est de la science-fiction irréaliste ?

Nous avons essayé d’écrire cette micro-fiction à partir de choses qui sont presque déjà possibles avec les intelligences artificielles aujourd’hui. Certaines demandent encore pas mal d’amélioration et ce qu’on ne sait pas, c’est si ces améliorations mettront 5 ans ou 50 ans. 

Le contenu que propose l’IA, le parcours, les choses à voir

Là, on y est déjà. On a fait des essais, on a demandé à chatGPT (l’intelligence artificielle développée par OpenAi et en ligne depuis novembre 2022) de nous créer un parcours de visite à Lyon et il y arrive très bien. On lui a d’abord demandé un parcours de visite à pied d’environ 2h et il nous a proposé : 

Place Bellecour – Traversez la Saône jusqu’à Vieux Lyon – Cathédrale Saint-Jean-Baptiste – Traboules – Place du Change – Rue Saint-Jean – Jardin archéologique de Fourvière – Basilique Notre-Dame de Fourvière – Retour à la Place Bellecour. 

Alors certes, il y a des choses un peu bizarres, et le “jardin archéologique de Fourvière” on ne sait pas trop ce que c’est, mais le parcours est relativement cohérent.

Ensuite on lui a demandé un parcours “Insolite”. Il a commencé par nous proposer un parcours pas trop mal en terme de contenu (Jardin Rosa Mir, Passage de l’argue, etc) mais avec un trajet vraiment mal fichu. Il a suffit de lui demander « peux-tu optimiser le parcours ? » et hop, c’était fait. Mêmes arrêts, mais parfaitement optimisé pour un parcours à pied. Ça, c’est assez bluffant.

Ensuite, on a demandé à ChatGPT de nous dire quoi voir et quoi raconter sur le parcours classique, et là aussi c’était carrément cohérent. Ça manque encore de pas mal de petites choses, mais ce n’est que ChatGPT 3, et on sait que la version 4 est déjà bien plus performante sur des tas de sujets. 

Les informations historiques

Là, c’est encore très approximatif voire carrément inventé parfois. Mais là aussi, on peut tout à fait imaginer une IA entraînée spécifiquement pour ça, avec un corpus d’articles scientifiques bien sélectionnés pour aller chercher l’info et la retranscrire. On n’y est pas encore, mais ça pourrait bien se faire d’ici assez peu de temps. 

L’apprentissage

Ça aussi, c’est quelque chose que l’IA fait déjà. C’est d’ailleurs le principe de ChatGPT, pouvoir continuer la discussion en prenant en compte (avec encore aujourd’hui une certaine limite) ce qui a déjà été dit avant, et continuer la discussion. 

La synthèse vocale

Bien sûr, ce qui est cool avec cette vision de l’Intelligence Artificielle de voyage, c’est qu’il n’y a pas de texte à lire. Quand on est 2 ou 3, c’est quand même largement mieux d’avoir une explication audio/orale. En ce qui concerne l’interaction qui imite les interactions humaines, là dessus chatGPT est déjà assez au point. Quand on pose une question il répond « Bien sûr ! Voici quelques idées pour vous » ou d’autres choses qui donnent l’impression que l’on parle vraiment avec quelqu’un. 

Ce qui manque encore, c’est la synthèse vocale. Pour l’instant, c’est impossible de faire lire un texte par une machine en lui donnant vraiment des intonations humaines, et on ne sait pas si c’est pour bientôt où pas. 

Mais est-ce que les gens ne préférerons pas toujours des humains ?

Ça, on ne peut pas le savoir. Parce qu’on n’a aucune idée aujourd’hui de la manière dont on adoptera les IA dans notre vie. Mais vu l’engouement pour ChatGPT dès sa sortie, vu la manière dont de nombreuses personnes l’utilisent déjà, on peut imaginer que les IA devraient se faire adopter assez facilement. 

Et si les IA sont capables de faire aussi bien que les guides, on peut imaginer qu’elles aient plus de succès. Parce que ce sont tous les avantages d’une visite (des infos, la possibilité de poser des questions, des suggestions, etc.) sans les inconvénients (être dans un groupe avec des inconnu·es, avec des horaires contraints, avoir potentiellement une guide qui parle de chose qui nous intéressent moins, ne pas pouvoir faire une pause au milieu de la visite et repartir après, avoir une guide qui ne parle pas assez fort, rester debout longtemps, etc.).

Est-ce la mort de notre métier ?

Nous pensons que oui, si on considère le métier de guide tel qu’on le considérait il y a 50 ou 100 ans. C’est à dire une personne érudite qui délivre de l’information à un public curieux pendant 2h, même si c’est fait de façon agréable et sympathique, même si la guide pose des questions et essaie de créer de l’interaction. 

Nous ne savons pas ce qui fera la différence, ce qui empêchera les IA de prendre notre place. Personne ne le sait parce que personne n’est encore capable de voir comment la société se saisira des intelligences artificielles. 

Ce dont nous sommes quasiment certaines en revanche, c’est que ce changement majeur nous obligera à nous adapter, à nous ré-inventer, sous peine de devoir disparaître. Et n’est-ce pas finalement une bonne chose que de savoir qu’il sera impossible de se reposer sur nos lauriers ?


Cet article a été relu et corrigé par Pierre-Nicolas Mougel, docteur en informatique, spécialiste de Data science et intelligence artificielle. Merci à lui.

Photo de Le Buzz Studio sur Unsplash

Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

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