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Photo de guide masquée et derrière elle l'autoroute et les bouchons

Est-on obligées de se concentrer sur le positif en visite ?

Quand on écrit une visite, on a toujours envie de mettre en valeur notre sujet (que ce soit un personnage historique, un lieu, une collection de musée…). Consciemment ou non, on veut donner de la valeur à ce dont on parle. On veut voir des réactions vives de la part de visiteurs. On sélectionne le positif, quitte à s’ambiancer parfois pour pas grand chose. Est-ce vraiment nécessaire, est-ce même juste ?

Chez Cybèle on a tendance à penser que c’est un biais cognitif auquel il faudrait faire attention. 

Pourquoi faut-il se méfier ?

Vouloir forcément mettre en valeur positivement ce dont on parle, c’est un problème. Parce qu’on peut facilement, sans mauvaise intention et sans en avoir conscience, se retrouver à encenser des personnages qui par ailleurs ont eu une facette moins heureuse, voire problématique. Je pense par exemple à l’œuvre de Pablo Picasso. Pendant très longtemps, les violences qu’il exerçait sur ses compagnes ont été tues. Aujourd’hui certains médias, plus ou moins de niche, commencent à révéler les facettes problématiques de la personne qu’il était. Au-delà du fait que de très nombreux biographes ont raconté sa vie privée en ne choisissant que le “positif” et sans dévoiler cette part d’ombre ce qui peut manquer d’honnêteté, ces éléments, une fois connus, apportent une vraie meilleure compréhension de son œuvre et de la violence que l’on y trouve. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez vous renseigner (par exemple) sur les tableaux de La femme qui pleure, et l’histoire de Dora Maar.

Il faut se méfier aussi, et ceci est plus léger : pour éviter le ridicule ! On cherche tellement l’exception que les chargé·es de mise en valeur du patrimoine sont prêt·es à écrire des cartels vraiment ridicules du genre “Cette place est l’une des plus grandes de France”… l’info de la plus grande est déjà en soi assez peu utile, mais alors “une des plus grandes” ne dit absolument rien (C’est la 18e ? Oh wow !). Ou encore : “cette place est la place qui contient le plus grand nombre de variétés de Magnolias”…

Ne pas sélectionner que le bon

On a tendance à ne sélectionner que le bon mais on peut aussi parler des aspects négatifs d’une personnalité. Être nuancé sur ce que cette personne était. Dans notre visite Cymoche de l’échangeur de Perrache (illustrée par la photo de couverture de cet article et qui n’existe plus pour cause de travaux d’embellissement sur le bâtiment) on faisait une biographie d’une personne souvent jugée comme un grand inventeur, ingénieur et entrepreneur. Nous avons pris le contrepied de ça et nous avons décidé d’en faire une biographie qui ne prend que les éléments gênants et ratés de sa biographie. Le but était de créer un effet comique. Entre les lignes le public comprend aussi tout ce qu’il a mis en place, mais ce qui est raconté est orienté vers les échecs de sa vie. 

Replacer dans son contexte historique

Quand j’étais en début de carrière de guide, j’ai travaillé dans une citadelle de Vauban. J’avais lu des ouvrages qui racontaient Vauban comme un grand humaniste. Alors j’ai raconté ça dans ma visite. Je trouvais ça génial. On parle de guerre au 17e siècle, mais le mec était hyper attentif au bien être des soldats qui vivraient dans les citadelle qu’il faisait construire. 

Je sais qu’aujourd’hui, je n’aborderai pas du tout le sujet de la même manière. Je remplacerai dans un contexte. Il a travaillé dans un royaume belliqueux à velléité expansionniste. Ça remet déjà en perspective les intentions générales du bonhomme. Et dans ce contexte expansionniste, il fallait bien recruter des soldats et pour qu’ils aient envie de s’engager dans ce métier dangereux, il fallait bien leur proposer des conditions de vie, les moins pires possible. Peut-être qu’il n’était pas du tout bon et altruiste, peut-être cherchait-il seulement des arguments de choc pour recruter de nouveaux soldats.

Bref, aujourd’hui je ne m’engouffrerais pas dans cette faille de rendre un général de guerre humaniste et tellement attentionné. Je contextualiserais davantage pour montrer qu’il s’inscrit dans une histoire nationale et dans un contexte qui le pousse à agir de telle ou telle manière.

De la même manière, aujourd’hui je me méfie toujours des discours sur “les grands visionnaires” ou les “novateurs”. Très souvent ils s’inscrivent dans un mouvement de société global et en même temps qu’eux, d’autres œuvraient dans le même sens.

Ne pas gommer ce qui gêne

Je reviens à la citadelle pour laquelle j’ai travaillé. Il y avait un sujet tabou. Cette citadelle avait tristement servi au moment de la 2nde guerre mondiale. On y avait exécuté des Résistants, et suite à la Libération, elle était devenue un camp de prisonniers de guerre allemand. Les conditions de détention y étaient atroces, c’est une partie extrêmement sombre et pourtant extrêmement intéressante à mon sens. C’était tout à fait ok de parler des Résistants fusillés, en revanche les conditions de détention des prisonniers de guerre allemand, c’était trop tabou. Ne pas en parler, c’est faire un choix clair de masquer une partie gênante de l’histoire. C’est ne pas assumer des comportements qui avec un discours bien tenu pourrait mettre en exergue l’animosité de cette période (quel que soit le camp). 

De la même façon, nous avons souvent observé que beaucoup de guides, gênés de parler de sujets graves, préfèrent en parler avec légèreté. Dans certains cas, cela peut être extrêmement gênant pour le public. Certains sujets SONT graves et nous avons le droit d’en parler de manière grave ou sérieuse. En rire, c’est une autre manière non pas de gommer mais d’atténuer. Les contresens peuvent vite arriver.

Assumer la subjectivité

Et si on a envie de dire, à un moment dans la visite que le lieu qu’on fait visiter est le plus bel endroit au monde, assumons cette subjectivité ! “Vous venez de Venise ? Mouais… c’est sympa mais ça reste tout à fait anecdotique face à la beauté de mon village / ma ville / mon quartier / …

Conclusion : Être enthousiaste sans enjoliver et faire des choix.

Quand on est guide, on nous demande souvent d’être enthousiaste et le biais, pour trouver l’enthousiasme c’est d’enjoliver. Mais la contextualisation, l’écriture de discours nuancés et honnêtes, les recherches large (dans le bon et le mauvais), ne rendrons pas notre visite moins attractive. 

Quant à l’enthousiasme, on peut tout à fait le trouver dans le ton. On peut par exemple le mettre dans l’envie de raconter quelque chose de juste plutôt que dans la personne ou le lieu dont on parle. Dans nos visites Cymoche, on s’ambiance sur des choses moches. A aucun moment on enjolive les lieux (même si on y ajoute une once de poésie en fin de visite), mais le ton est extrêmement enthousiaste et drôle.

Quoi qu’il en soit, il y a derrière ce débat, une question de choix conscient à faire. Si on ne sélectionne que certaines info parce que c’est “ce qui se raconte” alors qu’on connaît d’autre aspect moins glorieux, il faut le faire sciemment et se poser la question. Il y a plein de raison qui peuvent pousser à cela : 

  • Est-ce que je fais ça par pur prosélytisme ? Auquel cas il faut pouvoir argumenter s’il y a des questions.
  • Est-ce parce que mon employeur me le demande ? Auquel cas je peux (ou pas) interroger mon employeur sur ce choix pour pouvoir répondre aux éventuelles questions.
  • Est-ce que je fais ça parce que j’ai eu trop peu de temps pour écrire ma visite ? Auquel cas, comment j’assume cela auprès du public ?
  • Est-ce que je fais ça par choix ?
    • Parce que je suis trop gênée par un sujet ?
    • Parce que mon propos choisi est de raconter seulement tel aspect de la personne ? Auquel cas il faut s’y tenir et ne jamais déborder, et peut-être l’expliquer en intro ou conclusion.

Bref, il y a une question de positionnement et de choix de votre propos dans tout ça.
On vous a déjà parlé du propos ? Oui, on a même écrit 4 articles à ce sujet.

Musicienne, comédienne et guide-conférencière, Lucille est une lyonnaise d’adoption : née en Normandie, elle voue encore un culte au beurre demi-sel. Aimant le théâtre et la musique, elle fut tour à tour spectatrice, régisseuse et prof.

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