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Faut-il faire participer le public en visite guidée ?

Pour écouter cet article, plutôt que de le lire, voici la version podcast.


Encore un grand lieu commun de la visite guidée : pour qu’une visite soit une bonne visite, il faut qu’elle soit “participative”, “interactive”, on ne veut pas que le public soit “passif”… Ce sont des choses que l’on entend très souvent, par exemple lorsque des enseignants réservent pour une classe, ou que des personnes réservent pour un groupe un peu dynamique. On veut de la participation !

Pourtant, la participation ou l’interaction, si elles n’ont pas été mûrement réfléchies, peuvent être très contre-productives et dégrader une visite au lieu de l’améliorer. 

Bien souvent, on fait cela sans réfléchir, comme une sorte de réflexe. Il faut poser des questions aux enfants pour qu’ils s’intéressent. Il faut faire participer les gens pour que ça soit plus “vivant”. Mais on a tendance à ne pas se demander “pourquoi” est-ce qu’on fait cela.

Poser une question pour poser une question

C’est un peu le niveau 0 de la participation. Poser une question, la première qui nous vient en tête, sans avoir d’autre objectif que de “faire participer les gens”. Souvent ça donne quelque chose comme :

Alors les enfants, est-ce que vous savez quels matériaux on utilisait pour construire une église ?” 
Alors les enfants, est-ce que vous savez à quel siècle est apparu l’Opéra ?
Cette plante, à votre avis, est-ce un poison ou un médicament ?

(Note : ces exemples ont tous été déjà entendus en visite guidée)

Ce type de questions là sont très dangereuses. Elles font appel aux connaissances, à la culture générale. Soit on sait, soit on ne sait pas, on peut rarement deviner. Résultat, si on savait déjà, on n’apprend rien de plus. Si on ne savait pas, on se sent bête (et on ne retient pas l’info qui restera associée à un sentiment négatif). C’est un niveau de participation qui n’est pas accessible à tous.tes.

Demander son avis au public pour faire avancer le discours

Il nous arrive de poser des questions qui invitent notre public à donner leur avis, à partager leurs impressions. Ce type de participation peut être très efficaces pour “illustrer” nos propos, mais aussi très risqué car si l’objectif est de faire avancer notre discours, nous n’attendons qu’une seule réponse. 1

Par exemple, je suis dans une église, je veux parler du traitement de la lumière dans l’architecture romane et gothique. Je demande donc aux visiteurs de regarder le côté roman de l’église, puis de fermer les yeux, se retourner, et les ré-ouvrir côté gothique. Je leur demande de me donner leurs impressions. J’attends qu’ils me disent “Ouah ! C’est beaucoup plus lumineux côté gothique !” et j’embraye sur mon explication. 

Si quelqu’un me dit qu’il n’a pas vu de différence entre la partie romane et gothique et que je me contente de dire qu’il y a une différence mais que la personne ne l’a simplement “pas remarquée”, je retombe dans le même problème : la personne se sent bête, a l’impression de ne pas avoir donné la “bonne réponse”. Pourtant, c’était son ressenti ! Son ressenti n’est pas faux. C’est son ressenti, c’est tout. Dans ces cas, nous devons être très attentifs à nos réactions face à des réponses qui sortent de l’ordinaire et être à l’écoute de chacun. 

Un exemple réussi de question subjective

Un exemple très réussi se trouve à la cité du Chocolat Valrhona à Tain l’Hermitage. À l’entrée de l’espace muséal, le visiteur est invité à goûter deux carrés de chocolat avec une vidéo qui donne des conseils de dégustation, puis des questions sont posées au visiteur. “Trouvez-vous ce chocolat plutôt : lacté ? fruité ? amer ? sucré ?”

L’intérêt de cette question est bien sûr d’inviter le visiteur à se concentrer sur son expérience gustative pour découvrir le chocolat autrement. 

À la fin de la vidéo, au lieu de lire les “bonnes réponses” ce sont des statistiques qui s’affichent : l’avis moyen des visiteurs qui ont goûté ce chocolat. “36% l’ont trouvé fruité comme vous. 27% l’on trouvé amer. etc” 

Et enfin : “Les experts en chocolat l’ont trouvé plutôt lacté.”

Il n’y a pas de bonne réponse. Il y a des sensations propres à chacun, et toutes sont prises en considération. Mais l’objectif de la question est réussi : nous passons beaucoup plus de temps que d’habitude à essayer de décrypter les saveurs que nous avons en bouche. 

Le besoin de se rassurer

Souvent, il nous semble que les questions sont là pour nous rassurer. Nous autres les guides, nous avons très peur du silence, que ce soit dans notre discours (alors que les silences sont indispensables !) ou du silence du public. 

Le silence de la part du public nous met souvent un doute. “Est-ce qu’ils m’écoutent vraiment ?” Les questions et surtout, leurs réponses, nous assurent que les gens sont bien là avec nous. 

Pourtant, il y a bien d’autres signes à guetter, et bien d’autres leviers à actionner pour éviter que notre public reste “passif”…

Attention malaise

Quand on prend en compte toutes ces interrogations, on réalise que c’est en fait assez délicat de faire participer le public. Certains y arrivent très bien, mais dans certains cas, ce n’est ni pertinent, ni intéressant, et peut même mettre le public très mal à l’aise. 

Il faut faire attention à ne pas enfoncer les personnes qui n’ont pas les réponses à nos questions, il faut prendre en compte tous les avis, et surtout, il faut savoir pourquoi on pose ces questions. Si c’est juste pour se rassurer, c’est sans doute une mauvaise route. 

Participation ou implication

Chez Cybèle, nous ne parlons pas de “participation” mais “d’implication”. Nous croyons que le public peut être très impliqué, très attentif, tout en étant en apparence “passif”. 

Lorsque vous regardez un film avec beaucoup de suspense, vous êtes peut-être passif en apparence, mais en réalité vous êtes concentré, impliqué dans l’action. Si votre téléphone vibre à côté de vous, s’il y a un bruit étrange au loin, il y a de grandes chances pour que vous passiez à côté. 

Encore une fois, c’est une question de place laissée à l’émotion. Si les visiteurs sont impliqués émotionnellement dans notre sujet, ils seront “actifs”. Ils seront concentrés, ils se projetteront dans ce qu’on leur raconte, ils se feront leur propre film, ils imagineront des choses, des décors, des éléments concrets. Ils ne “feront” rien, et ne “diront” rien, mais seront tout sauf passifs. 

Nous pouvons mesurer cela sans questions. Il suffit de voir les regards attentifs et concentrés. Il suffit de voir comme les silences sont pleins lorsque dans un moment de suspense, plus personne ne songe à faire une blague pour rompre un silence qui parfois met mal à l’aise. 

Et parfois, les émotions s’expriment très concrètement. Le public sourit, ou même rit. Parfois il pousse une exclamation, un soupir. Parfois, le public pleure d’émotion. 

C’est pour nous la meilleure preuve de participation du public à notre histoire, de son implication émotionnelle. Quand au moment le plus intense de suspense, alors que tout le groupe est suspendu aux lèvres du/de la guide, un petit garçon entendant le dénouement heureux de l’histoire se lève d’un bond en s’exclamant “J’EN ÉTAIT SÛR !”… Quand au moment le plus chargé émotionnellement de la visite, le ou la guide se met à chanter, les mots et l’intellect s’effacent discrètement, l’émotion véhiculée par la musique prend toute sa place, et certaines personnes ont les larmes aux yeux.

Voilà pour nous, l’une des plus belles et des plus sincères participations du public. Quand l’émotion s’exprime ainsi, nous sommes sûrs que le public ne le fait pas pour nous faire plaisir, et qu’il se souviendra de cette expérience, même s’il n’a rien eu à “faire” ni à “dire” !

Bibliographie

1. Samuel Coavoux et Frédérique Giraud, « La forme scolaire déniée des médiations muséales. Enquête sur l’accompagnement des publics », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs [En ligne], Hors-série n° 7 | 2020, mis en ligne le 07 février 2020, consulté le 08 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/cres/4427


Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

Cet article comporte 3 commentaires

  1. Bonjour,
    Juste un petit mot pour vous dire que votre blog est très intéressant. Je suis guide conférencière également et je trouve que vos articles sont très inspirants. Je pratique le théâtre en amateur et en vous lisant je me dis qu’il y aurait peut-être moyen d’utiliser encore plus cet arc lors de mes prestations… A méditer…
    Bonne continuation en tout cas et bon courage en ce moment, ce n’est pas simple !
    Bien à vous
    Christelle

    1. En effet, les possibilités sont infinies ! Si vous pouvez utiliser votre savoir-faire de théâtre pour vos visites, cela ne peut être que bénéfique ! Bonne continuation à vous également,
      Clémence

  2. Comment gérer ces visiteurs.ses qui ressentent le besoin d’étaler leurs connaissances lors d’une visite. Et qui même sans « quiz », trouveront le moyen d’interrompre le.la guide pour en placer une ?! 😉

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