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L’histoire « neutre » n’existe pas

Lorsque j’ai commencé mes études pour devenir guide, il me semblait évident qu’une visite guidée devait être “neutre” politiquement. En tant que guide je croyais qu’il était impossible et interdit de laisser transparaître mes opinions.

Aujourd’hui, je crois l’inverse : raconter l’histoire n’est jamais neutre, et ne pas être conscient de cela nous emmène sur une pente bien plus glissante et dangereuse. Explications. 

L’histoire et les historien∙nes

Quand on est guide, l’étendue des sujets que l’on doit aborder est si vaste qu’il est rare de faire nous même le travail d’historienne : aller chercher des documents à la source, les analyser, etc. La plupart d’entre nous nous basons sur des ouvrages écrits par des historien∙nes et nous construisons nos discours sur cette base.

Il y a longtemps j’ai cru qu’un travail d’historien était neutre, et que je pouvais faire confiance à ce travail objectif. Que s’il y avait des erreurs, c’était parce que la recherche n’avait pas encore avancé, et si certains historiens étaient contredits, c’était parce qu’ils n’avaient pas eu accès à toutes les sources et “ne pouvaient pas savoir”.

Aujourd’hui, je suis bien consciente des enjeux politiques qui se cachent derrière le choix de tel ou tel sujet de recherche. Je suis bien consciente aussi de toute l’histoire dont on n’a jamais parlé, et qui a simplement été invisibilisée : l’histoire des pauvres, l’histoire des femmes, l’histoire de toutes les minorités. Je suis bien consciente aussi que l’on peut faire dire beaucoup de choses très différentes à une même source.

Lire et baser son discours de guide sur les textes de tel ou telle historien∙ne n’est pas neutre et ne le sera jamais. Entre un ouvrage de Mathilde Larrère, historienne, féministe et militante de gauche, ou un ouvrage d’Alain Michel, historien spécialiste de l’histoire de la Shoah et soutenant la thèse selon laquelle le régime de Vichy aurait sauvé les Juifs, il y a de grandes différences !

C’est d’ailleurs la revendication de Mathilde Larrère : « On ne raconte pas des choses fausses parce qu’il y a une approche politisée, à partir du moment où on est solide scientifiquement et qu’on ne trahit pas les sources. Moi j’affiche la couleur. »

Ce que cela implique pour nous les guides

Lorsque l’on parle de l’histoire, nous devons être conscientes que nous ne pouvons pas parler de manière neutre. Car en tant que personnes, nous avons une opinion politique, nous avons un avis sur notre société, sur ce qu’elle devrait être, et qu’on le veuille ou non, ces opinions nous font poser un regard particulier sur l’histoire. 

Comment parler de la révolte des Canuts, les ouvriers de la soie à Lyon au 19e siècle, de façon “neutre” ou “objective” ? C’est impossible ! Car c’est un sujet éminemment politique, et qui fait écho à l’actualité. C’est impossible aussi car les ouvrages écrits sur le sujet ont été écrits par des personnes ayant des opinions politiques et les biais sont inévitables. 

Avoir conscience de cela, ça ne veut pas dire faire du prosélytisme ou de la récupération politique de nos sujets en visite guidée. Cela veut simplement dire faire des choix conscients de parler de telle ou telle chose, et avoir un contenu choisi et non pas subi.

La subjectivité subie

Pour revenir à l’exemple des Canuts, nous avons malheureusement entendu dire que la “Révolte des Voraces” avait démarré parce que les canuts que l’on surnommait “Voraces” se révoltaient contre le pot de vin (au sens propre !) qui était passé de 50cl à 46cl pour le même prix. 

S’en tenir à cette explication, sans évoquer l’engagement politique des canuts, les précédentes révoltes, les luttes pour les tarifs et contre la pauvreté est déjà une opinion politique. Cela décrit les canuts comme de simples ivrognes, casseurs, ayant fait la grève pour boire un peu plus de vin. 

C’est une vision politique bien particulière de la révolte, ce n’est pas neutre. 

Si l’on souhaite s’en tenir à cette explication pour ne pas rentrer dans une explication politique, on fait l’histoire des dominants : ce que les opposants des canuts (les négociants donc) ont voulu faire d’eux. Des ivrognes assoiffés sans aucune autre préoccupation que leur pot de vin à table. 

Subir ce point de vue parce que l’on croit rester “neutre” est une erreur.

Le propos

Le propos, c’est la raison pour laquelle on choisit de parler de tel sujet ou de tel personnage. Dans une visite, on ne peut pas tout dire, il faut faire des choix. Pourquoi veut-on parler de ceci ou de cela ? La réponse “parce que c’est intéressant” n’est évidemment pas valable, considérant qu’absolument tout peut être potentiellement intéressant.

C’est pour toutes ces raisons que chez Cybèle, à chaque fois qu’on aborde un nouveau sujet, on ne se contente pas de dire : “on va parler de ça”. On prend le temps de définir ce qui nous paraît important de dire de ce sujet, ce que l’on veut transmettre, ce que ça nous dit de la société actuelle… Et chaque personne de l’équipe donne son point de vue pour que nous trouvions un propos commun. 

Nos visites sont documentées, le contenu historique est maîtrisé, mais nous ne dirons jamais qu’elles sont “neutres” ni objectives !

Un exemple concret

Pour illustrer cet article, nous en avons écrit un deuxième avec un exemple concret.


Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

Cet article comporte 1 commentaire

  1. Article très intéressant !

    Pour ma part, j’ai été parfois confrontée à ce que le public considère comme le « saccage » du patrimoine religieux à la Révolution. Face à des réactions épidermiques ou très tranchées, il me semble toujours indispensable de remettre les choses dans leur contexte … Les gens ont trop souvent tendance à juger des évènements historiques avec leur vécu / regard actuel.

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